- Avis : note(s) et critique(s)
- Moyenne albums :
- Classement :
- Consultations groupe :
Article
01/03/2013
Type : entretien
Titre : Le son du silence
Beaucoup dencre aura coulé avec Sounds That Cant Be Made, dix-septième album studio de Marillion. Vaste fresque musicale pour les uns ou grand moment dennuie pour les autres, luvre déploie, quoiquon en pense, les archétypes du groupe anglais, pointant vers un rock tour à tour rageur et atmosphérique, se laissant aller également à un storytelling inhabituel. Un choix assumé mais aussi le fruit dune méthode de travail différente, comme nous lexplique le guitariste Steve Rothery.
AmarokProg : Sounds That Cant Be Made est le 17ème album de Marillion. Avec une telle carrière, peux-tu nous dire ce quest, finalement, Marillion ?
Steve Rothery : Ce qui me vient dabord à lesprit cest lincroyable liberté dont nous disposons. Personne ne vient nous dicter ce que lon doit faire et pour en arriver là, nous avons dû vivre un processus assez étrange à décrire. Mais quelque chose de magique est survenu, une véritable alchimie entre les musiciens, un truc unique, magique. Cest vraiment précieux. Quand tu arrives avec les contours dune idée et que celle-ci grandit peu à peu, avec les autres membres, pour aboutir à une belle chanson cest comme une réaction chimique difficilement explicable ! Je crois que ce que lon représente va dans ce sens. Une liberté incroyable et la possibilité de prendre notre temps pour obtenir cette fusion des éléments pour essayer dajouter un peu de beauté dans ce monde compliqué. Cest ce que Marillion représente pour moi.
AmarokProg : Trois ans séparent « Hapiness is the Road » de ce nouvel album. Cest un délai assez inhabituel pour Marillion.
Steve Rothery : Oui, mais entre temps nous avons sorti « Less Is More ». En fait, nous ne voulions pas commencer à écrire trop tôt et nous nous sommes ensuite engagés sur divers projets. Par exemple, jai participé à des concerts de Deep Purple en Allemagne. En revenant, jai pu commencer à travailler sans avoir la pression de finir au plus vite. Nous avions lopportunité de laisser à chaque morceau le temps darriver à sa conclusion naturelle, si tu vois ce que je veux dire. On ne voulait pas faire comme sur « Hapiness Is The Road ». Si javais eu plus de temps, jaurai probablement contribué un peu plus à cet album. Il y a deux ou trois morceaux qui nécessitaient un peu plus de notre ADN. Javais conscience de cela pour « Sounds That Cant Be Made». Cest un disque très long, qui a nécessité énormément de travail. Cela nous a mis sur les genoux. Mike Hunter était encore sur le mixage lorsque nous avons commencé à tourner. Cest quelque chose de très étrange. Quand nous sommes allés en Amérique du Nord, en juin, on continuait à peaufiner lalbum en même temps que nous jouions les titres sur scène. Jenregistrais des parties de guitare que jenvoyais de mon portable avec DropBox en y réfléchissant, ce fût une année complètement folle !
AmarokProg : Hormis cela, je crois quil y a eu dautres changements dans la façon de faire cet album
Steve Rothery : Oui. On a beaucoup travaillé à la maison et par exemple, 80 % des guitares furent enregistrées dans mon studio. Mark et Steve ont fait de même. Cest étrange car une fois que javais terminé mes parties, je ne savais pas ce que les autres avaient fait pendant ce temps-là. On travaillait avec une ligne directrice pour chaque chanson évidemment, mais à certains endroits il fallait faire preuve dimagination quand il ny avait pas de claviers ici ou de batterie là. Pourtant, je devais bien écrire quelque chose. Cest seulement lorsquon sest tous retrouvés que tout sest emboité. Cétait comme être dans le noir et découvrir dun coup la peinture des autres. Tiens, tu as fait ça ? Et toi, tu as fait ça ? (rires) Cest une façon étrange de travailler mais jaime bien le résultat.
AmarokProg : Au final, le son de lalbum est assez différent des précédents albums
Steve Rothery : Oui, tout à fait. Techniquement, lalbum a été enregistré pour avoir plus despace dans le mix, et personnellement jai travaillé vraiment très dur sur mes parties de guitare. Jai essayé énormément de choses, je les ai comparé, jai beaucoup jeté également mais jai vraiment essayé daller au fond des choses. Souvent il suffit de trois ou quatre prises et on enchaîne mais cette fois, il a souvent fallu dix ou douze prises, couper ceci ou cela, combiner des passages très différents. Ce fût un gros travail de production.
AmarokProg : « Sounds That Cant Be Made » est un titre assez paradoxal, non ?
Steve Rothery : Oui, lidée est basée sur un problème de communication dans un couple. Quand les choses ne peuvent être exprimées avec mots. Cest ce que la chanson essaye de dire en tout cas. En termes de musique, exprimer ce conflit était un challenge. Comment créer quelque chose qui na pas été fait avant ou sous un tout autre aspect. Lalbum est pas mal basé sur ce concept de « manque de communication ».
AmarokProg : Cest un concept album ?
Steve Rothery : Difficile à dire, vraiment. Il y a un lien entre les chansons, bien sûr, parce que tu as des titres comme « Gaza » ou « Montréal », avec des identités fortes, mais globalement ce sont toutes des histoires séparées.
AmarokProg : Cest curieux davoir deux chansons avec des noms de villes pour titre et des villes aussi différentes que « Gaza » et « Montréal » qui plus est
Steve Rothery : Oui, et ce sont deux longs morceaux, organisées comme des musiques de films.
AmarokProg : Des chansons avec un gros storytelling également
Steve Rothery : Oui. Exactement.
AmarokProg : Gaza vient-elle dune volonté commune de parler du conflit israélo-palestinien ?
Steve Rothery : En fait, Steve avait les paroles et un jour où nous étions trois dans le studio, je me suis mis à essayer quelques « loops » sur mon portable, accompagnées de riffs à la guitare. Mark essayait des trucs au piano, et on sest dit que cela donnait quelque chose dassez original. On la mis sur létagère avec dautres idées, on a étudié comment agencer les différents passages chantés, et voilà. Après, beaucoup y ont vu une chanson politique alors que ce nest absolument pas le cas. Lorsque nous finissions lalbum, Mike Hunter nous a demandé de lécouter encore une fois, quelle pouvait devenir la meilleure chanson de lalbum, alors on a suivi son conseil et on a compris son point de vue. Alors oui, effectivement, nous aurions peut-être dû lappeler « Des deux côtés de la ligne » et non pas « Gaza » qui est un titre pouvant donner lidée que lon prend position. Mais si tu regardes bien le texte, ce nest pas le cas. Le simple fait davoir un tel titre a provoqué une vraie campagne contre la chanson. Jétais vraiment attristé par cette situation. Il y a eu de telles réactions provoquées par un simple titre.
AmarokProg : La chanson parle avant tout des enfants
Steve Rothery : Oui. Elle décrit le point de vue dun enfant. Cest une situation tellement complexe. Nous ne sommes pas du tout habilité à blâmer qui que ce soit mais cest un conflit très difficile à appréhender et qui ne trouve pas de solution. On a juste essayé de capter une image de ce conflit. Je suis très fier de cette chanson mais elle ne donne pas plus despoir dune quelconque solution pour autant.
AmarokProg : Penses-tu quil est utile de faire des chansons engagées politiquement ?
Steve Rothery : En tant quartiste je trouve cela dangereux de prêcher pour une vision politique, quelle quelle soit. Tu ne maîtrises pas forcément les événements dont tu parles.
AmarokProg : Et quel fût limpact de cette chanson sur scène, en public ?
Steve Rothery : Cela a énervé certaines personnes, oui. Jai de très bons amis à Paris en ce moment que je nai pas vu depuis 15 ans, qui ont trouvé cela honteux. Jen suis très triste, évidemment. Mais cest une grande chanson, puissante, et globalement on a eu des réactions incroyables et positives.
AmarokProg : Le groupe semblait assez angoissé avant ces premiers concerts
Steve Rothery : Oui. Heureusement, cest une chanson très longue qui nécessite une forte concentration quand tu linterprètes. Cela nous a permis dévacuer toutes ces histoires, toute cette controverse de notre esprit au moment fatidique.
AmarokProg : Pensez-vous que cet album soit une vraie évolution de Marillion ou juste un nouveau jalon dans la discographie du groupe ?
Steve Rothery : Cest difficile à dire. Pour moi, cest un de nos meilleurs albums et un de ceux dont je suis le plus fier avec Afraid of Sunlight, Brave et Marbles. Mais qui sait pour lavenir. Parfois un disque est juste une réaction au précédent. Brave était une réaction à Holidays In Heaven qui développait un style très mainstream, peut être trop, et donc on avait souhaité aller dans une direction plus sombre
AmarokProg : Marbles fut un vrai changement pour Marillion, pour de nombreuses raisons, notamment pour le système de production. Quelle est votre vision du marché du disque aujourdhui ?
Steve Rothery : Il est de plus en plus difficile dacheter des disques « physiques ». Il y a tant de plateformes de téléchargement légales et illégales. Il y a beaucoup de tentation pour ne pas payer cette musique. Mais cela déprécie la valeur dInternet également. Cest regrettable que certains puissent trouver normal de payer pour un verre de bière ou une bouteille de vin sans voir, par ailleurs, le travail fait sur une musique et ne pas vouloir supporter un artiste en rémunérant sa musique. Cest pourtant un circuit logique que de supporter lartiste afin quil puisse continuer, tout simplement. Quand on a lancé lidée des contributions pour Marbles, 15.000 personnes ont souscrit lédition spéciale ce qui nous a donné assez dargent pour produire lalbum et vivre pendant un an. Nous navions jamais imaginé un tel succès.
AmarokProg : Cela a fonctionné avant tout grave à vos fans, très loyaux. Pour les récompensez vous organisez des Week End spéciaux
Steve Rothery : Oui, jadore ça ! On se réunit, on retrouve des amis que lon sest fait tout autour de la planète, cest quelque chose de vraiment amusant et denrichissant. Mais cela demande beaucoup de travail également car nous jouons plusieurs sets de trois heures, avec des chansons que nous interprétons habituellement peu, voire que nous navons jamais fait sur scène. On doit donc apprendre tout cela rapidement, on est souvent au bord de lexplosion avec si peu de sommeil. Mais les gens viennent de partout, traversent lEurope, lAtlantique ce sont des fans absolus, cest magique.
AmarokProg : Lannée passée, Marillion a fait deux week-end à Montréal. Un autre est prévu cette année
Steve Rothery : Oui et deux autres en Angleterre
AmarokProg : Quelles sont vos relations avec Montréal ?
Steve Rothery : Cela a toujours été un endroit spécial pour nous et ce, depuis 1984 où nous avons joué la première fois. Le public a toujours été formidable là-bas, avec un esprit plus européen quaux Etats-Unis. Je me souviens avoir joué avec Rush, un concert génial.
AmarokProg : Dans Montréal, il y a une référence à Joni Mitchell
Steve Rothery : Mark, Steve et moi-même adorons Joni Mitchell.
AmarokProg : Cette influence se sent sur les textes et sur la musique également
Steve Rothery : Oui, évidemment. Cest une influence indirecte qui transparaît dans la guitare et la façon de chanter de Steve.
AmarokProg : Lalbum est plus atmosphérique également.
Steve Rothery : Oui, il se rapproche plus dune bande originale de film. On ne voulait pas faire toujours la même chose. Tu sais, quand tu as un groupe de rock, même formidable, des fois tu as envie de faire autre chose. Quelque chose avec plus despace, plus visuel.
AmarokProg : Quel est ton morceau préféré dans STCBM ?
Steve Rothery : Comme je te lai dis, « Gaza » est une chanson fantastique. « Sounds That Cant Be Made » et « The Sky Above the Rain » également.
AmarokProg : Et sur toute la discographie de Marillion ?
Steve Rothery : « The Great Escape »
AmarokProg : Et sur scène ?
Steve Rothery : Jadore jouer « This Strange Engine », « Afraid of Sunlight »
Comment décidez-vous de la playlist sur scène ?
Steve Rothery : Quand tu es dans la promotion dun nouvel album, déjà, tu sais que tu vas jouer quelques titres de ce nouvel album. Ensuite, il faut trouver des chansons pour compléter au mieux cette première liste. Nous essayons de jouer des choses différentes chaque soir. Il faut trouver le juste milieu dans cette sorte de célébration cela fait plus de 30 ans maintenant que Marillion existe, donc on a beaucoup, beaucoup de musique où piocher.
AmarokProg : Te rappelles-tu le moment où tu as voulu être musicien ?
Steve Rothery : Vers quinze ans je crois jétais fan de Genesis et je me disais que leur vie devait être vraiment géniale. Et puis, vers 16 ans, jai écouté « Shine on your Crazy Diamonds » sous les étoiles et je me dis, « cest ça que je veux faire ».
AmarokProg : Quelle a été ta formation musicale ?
Steve Rothery : Jai commencé la guitare vers 15 ans puis jai quitté lécole vers 16 ans quand jai réalisé que ce nétait pas pour moi et surtout parce que je voulais devenir un musicien. Je jouais 10 heures par jour la majeure partie de lannée. Ensuite jai joué avec des gars qui étaient au Lycée ou à luniversité, et jai ensuite passé une audition pour un groupe de rock progressif et je me suis dis que cétait la bonne direction. Cétait le genre de musique que jaimais jouer. La suite, cest de lhistoire. Mais je reste autodidacte. Jai appris la guitare à travers les livres, les methodes, ce genre de choses. Je ne suis pas intéressé par la technique pure, la performance, mais bien plus par le feeling avec linstrument.
AmarokProg : Tu préfères David Gilmour à Joe Satriani
Steve Rothery : Oui ! (rires) Mes influences sont là : Gilmour, Hackett, Latimer mais aussi Jeff Beck, Jimmy Page, Van Halen à ses débuts, Steely Dan, Larry Carlton.
AmarokProg : Quels sont les artistes actuels que tu apprécies ?
Steve Rothery : Sigur Ros, notamment, Damien Rice...
AmarokProg : Dernière question : Marillion est-il un groupe de rock progressif ?
Steve Rothery : Tout dépend ce que tu mets derrière le terme « rock progressif ». Pour certains ce sera un grand compliment, pour dautres une insulte. Pour moi, le rock progressif est une musique sans limites, dans la durée, dans la construction, ou dans le style. Cest le vrai sens de cette musique et je crois que Marillion entre dans ce cadre. Pour beaucoup, le rock progressif nest quune musique des années 70, avec du melotron, des guitares douze cordes, mais ce sont des conneries. Tu peux avoir tous ces instruments mais tu ne peux pas te limiter à cette stricte définition. Le rock progressif est plus grand, plus large que tout ça.
Cyrille Delanlssays - Propos recueillis par en février 2013 Merci à Jean-Marc Delisle pour son indéfectible soutient & à Olivier Garnier pour la logistique
AmarokProg - Rock, Folk, Rock Alternatif, Metal, Prog Rock, Hard Rock, Blues, Bluegrass, Jazz, Celtique... le webzine musical avec albums, groupes, discographies, critiques, videos et extraits...