La nostalgie est un sentiment plein de noblesse mais qui ne fait pas forcément les délices des contempteurs. La mémoire serait « une fuite en avant pour mieux occulter le vide existentiel dun présent trop futile ». Voici comment est introduit Pyjamas Blood Juggernaut, uvre protéiforme, réincarnation improbable, inattendue et spectaculaire de lhistrion Michael Polnareff, de retour de nulle part. Sans prévenir. Notons au passage létonnante mutation nominale. Alors lami force la dose (« Les trous noirs sont troublants ») avec cette impression de vouloir tout réinventer sur ces trois disques (!) en forme de trilogie mystique, empilage de sensations fortes, jamais plantées dans limpasse de ce come back déconstruit (« Puéril en la Demeure »).
En voulant se frotter à un rock progressif "pur premium" sur-vitaminé et en quittant le cocon étouffant dune pop qui ne lui suffisait définitivement plus, Michael vire au projet récréatif, libéré comme jamais des forces centrifuge des majors goinfrés doseille. Tout ce barnum bardé dun concept pour le moins obscure : lhistoire dun pyjama égaré au cours dun voyage initiatique le long du Transsibérien en 1989. Métaphore évidente dune condition humaine bariolée, déchirée, quil ne connaît que trop, lalbum surprend par sa fluidité et son sens de la jubilation instrumentale (« Héliport Cochon » »). Pourtant, la tonalité chaude et enivrante de luvre (« Alien et les Garçons », « Nicolaïsme Sarcophage ») nempêche pas langoisse de revenir au galop avec le feuilletonesque « Palindrome » en quatre parties, ponctué dun sens de la dramaturgie maîtrisée (et lappui des Curs de lex Armée Rouge). Un sentiment dincertitude toujours dans lombre. Mais la sérénité sait pointer sur « Émétisante Barjot » et le propos, comme la musique, se radicalise peu à peu (« G ! »).
« [...] Cétait laprès-midi, au milieu des vaches folles, lécureuil nous sourrit sur un vieux rocknroll [...] »
Les musiciens, au diapason, combinent ces ingrédients avec une énergie qui donne tout son sens au projet. Les références sont légion, plutôt étrangère, mais classiques et classieuses : GENTLE GIANT, GENESIS, PINK FLOYD, ELP, VAN DER GRAAF GENERATOR, KING CRIMSON, KANSAS se bousculent aux postillons. En mélangeant des artistes venus dhorizons aussi divers que Donati, MacAlpine, Katché (« Le retour dÉmile Piedeplomb »), Psy (« PolnaStyle ») ou une Lana Del Rey étonnante à la flûte à bec (« Vladivostok en Rayon »), lalbum ne se fige jamais, abordant même lautodérision libertaire (« Le Pale des Nazes »). On retrouve même quelques numéros étonnants (Avril Lavigne, Bruno Mars et January Jones sur « La Pelle du 18 Juin » en adaptation libre de June Carter) qui évitent le simple empilement de bonnes volontés. Et le sommet sera atteint sur le troisième disque composé de lunique « Calli-pyjama Sextête », entre grand messe et requiem définitif, où copulent allègrement luxe et chaos, chic et barbarie musicale, avec un sens du rythme nombriliste rare.
« [...] Ce pyjama resté pendu, condamné à flotter jusquau nues, nous laissant las, si seuls, si nus [...] »
Cirque existentialiste (nous sommes tous des pyjamas !), ce Pyjama's Bloody Juggernaut (que l'on pourrait traduire à l'emporte pièce en "Force fatale du Pyjama Ensanglanté"), sous titré Palindrome Project, délivre près de trois heures et demie dexercices de styles cuits aux champignons hallucinogènes, avec un authentique amour de la musique qui enveloppe cette voix inimitable, plus remarquable que jamais. Quelle ne monte plus aussi haut quil y a quarante ans nenlève rien à laffaire. Ceux qui voudront se mesurer à un tel défi artistique devront sattendre au pire tant cet album plane à des kilomètres au dessus du lot de ses contemporains. Chien fou, hypersavant, psychédélique et défoncé. La mutation est en marche !
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