Je me rappelle de mon éclat de rire lorsque j'ai reçu la version CD de cet album. C'est probablement un des disques auquel le format plastique digital convient le moins. En effet, comment comparer ce boîtier plastoc et son livret de 144 cm carrés avec l'immense double 33 tours d'origine, dont la pochette s'ouvrait en 6 tableaux différents, tous plus cosmiques les uns que les autres.
Quand l'amateur de rock achetait ce "Space Ritual" d'anthologie, il savait, en détaillant les 6 pochettes intérieures (en vert et blanc) qu'il venait de pénétrer dans un monde parallèle dont il ne ressortirait pas indemne. Il allait subir une attaque sonique et probablement devenir accroc à une drogue puissante nommée Space Rock. Fatale destinée !
Plus sérieusement, si Hawkwind ne fait pas l'unanimité dans le monde du rock, ce double live est, lui, considéré comme un chef d'uvre intemporel depuis 32 ans par la presse spécialisée pourtant versatile et peu amène envers les groupes de progressif. Mais peut-être est-ce dû au fait qu'il ne s'agisse pas de rock progressif ? Car enfin, le Space Rock, c'est quoi ? Une musique dont le but avoué est de faire décoller l'auditeur, de l'extraire de l'atmosphère terrestre puis de le véhiculer aux confins de l'espace et du temps.
La quête est cosmique, en parfait accord avec la principale pré groupes de l'époque (Floyd, Yes, Gong, Tangerîne Dream, Popol Vuh, Magma, etc..) : emmener les gens ailleurs, loin, les rendre libres et indépendants grâce à une musique novatrice, hypnotique et imprévue.
Il y a bien longtemps que le monde de la musique n'a plus ce genre de prétention, ce qui explique très bien, à mon avis, le niveau de la production actuelle. Je comprends que les messages (car il s'agit aussi de ça !) de Magma, de l'Edgar Broughton Band, du Grateful Dead ou d'Art Zoyd, perturbent l'auditeur d'aujourd'hui, habitué à une soupe monochrome et inodore, à des produits aseptisés et fades, et dont le seul jugement autorisé est celui des vépécistes : "C'est le dernier, donc c'est le meilleur". Pitoyable ! Non, je ne m'égare pas ! Si l'on ne comprend pas cette volonté d'exode, de liberté, de "trip", le Space Rock demeure obscur, ennuyeux, rébarbatif, dangereux même ! (Musique de drogués !).
Constatation d'actualité, le mouvement Stoner subit les mêmes qualificatifs et la même marginalisation. Pas étonnant pour une musique qui se réclame des 70's, qui prône la liberté sans embêter le monde (la preuve, ils jouent dans le désert !) et qui reprennent du Hawkwind ou du Birth Control.
Bon, revenons à ce concert, enregistré les 22 et 30 décembre 1972 à Liverpool et à Londres.
Le groupe se compose de Dave Brock à la guitare et au chant, du bassiste Lemmy Kilminster, de Nik Turner au saxophone et à la flûte, de Simon King à la batterie, de Del Dettmar aux synthés, de Dik Mik aux bidouillages électroniques (appelés "audio generator") et du poète Robert Calvert, écrivain, chanteur, récitant.
Ce qui étonne le plus dès fintro "earth calling", c'est la qualité du son. Malgré le nombre d'intervenants et de chanteurs (tout le monde chante un peu, à part le batteur), malgré des sonorités très contrastées qui étendent la bande passante, on détaille nettement le jeu de chaque musicien, on est surpris par la puissance de feu du groupe et on est charmé par l'ambiance cosmique qui se dégage de l'ensemble.
Ce concert invite au voyage. Entre chaque titre (il n'y a aucune coupure, tout s'enchaîne), Calvert parle de l'espace, Brock décrit le vide, Turner relate les détails de l'expédition et Dik Mik élabore des interludes à grands coups de bruitages étranges et de synthétiseurs volubiles.
Ce concert a une couleur : le noir. Les échos systématiques, la réverb à son maximum donnent des sensations d'immersion dans un espace sans limite, sombre et carnassier. Quand la rythmique déboule, avec sa basse tellurique, sa guitare si grave et ses percussions répétitives, l'auditeur se trouve exposé à un rock sauvage et implacable, aux antipodes du progressif mais très proche d'un heavy métal gladal dont il n'existe pas de précurseur.
Ce concert est étonnant ; il brille de mille feux. Dave Brock n'est certainement pas le plus technique des guitaristes, mais il sait se servir d'une wah wah, le bougre ! Et il possède un sens mélodique et dramatique assez exceptionnel. La plupart de ses interventions sont brillantes, scintillantes, déchirant le voile noir de cris aigus et sensuels. Le couple Dettmar/Dik Mik parvient à illuminer le vide spatial de leurs claviers omniprésents, envahissants, puissants mais juste ce qu'il faut pour contrebalancer les rythmiques abyssales. Nik Turner apporte une clarté incertaine, vacillante, comme le néon hésitant et blafard d'un poste de pilotage. Son saxophone est plaintif, tourmenté, irréel par moment au point que l'on se demande s'il s'agit bien d'un cuivre qui vagit pareillement. Sa flûte est plus lumineuse mais ne parvient qu'à éclairer un peu les passages calmes.
Ce concert est unique, tout ici est évident. Si l'on peut reprocher aux Faucons de tomber parfois dans la facilité, force est de reconnaître qu'ils savent écrire une chanson et qu'ils sont de fameux mélodistes. Dans ce "Space ritual", tous les titres sont des tubes, déconcertant d'aisance, bourrés de trouvailles tonales, immédiatement mémorisables, fredonnables (sous la douche du sas de décontamination). Du superbe "born to go" et sa batterie qui accélère toutes les 12 mesures, jusqu'à l'incontournable "brainstorm" machine de guerre aux loops éternels, peuplée de chants plaintifs ou menaçants, en passant par les célèbres "orgone accumulator", "master of the universe" et les angoissants "space is deep" ou "sonic attack", tous les morceaux sont accessibles et prenants. Pas un seul faux pas !
Ce concert est un révélateur. A son écoute, vous saurez si la gravité universelle s'applique toujours à vous et à votre esprit, et par là, même si vous êtes un mutant, un freak, un futur extra terrestre, bref, un des rares êtres conservant la faculté de rêver.
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