Sans doute à l'écoute de "The kick inside", le non-initié sera triplement surpris par : 1) une voix riche, à la fois haute et enfantine, capable de gravir 4 octaves ; 2) l'omniprésence du piano, instrument fétiche d'une adolescente prodige ; 3) un environnement instrumental offrant un rock étrange, teinté à la fois d'élégants arrangements classiques et de sonorités exotiques. Avec ce premier disque, Kate Bush frappe fort. Son ovni ou plutôt son cerf-volant - qu'elle tient accrochée de ses bien maigres mains - sur la pochette atterrit à une période musicale plutôt déprimante (fumisterie punk, pop synthétique, new wave bon teint).
On découvre alors l'immense talent d'une auteur-compositeur de... 19 ans. Sorti en 1978 par EMI, "The kick inside", avec ses mélodies sinueuses et envoûtantes, remporte immédiatement un succès mondial. (Le single "wuthering heights" est, dès le mois de février, n°l en Grande-Bretagne.) Ainsi, les 3 ans de travail de Kate Bush consacrés à l'élab disque sont enfin récompensés, grâce en partie à l'aide précieuse de son mentor David Gilmour, le guitariste des Pink Floyd. Les 13 titres qui composent ce premier voyage bushien - aux relents gullivériens - frappent par leur haute qualité instrumentale. En outre, les textes, insolites, suscitent une grande curiosité de la part du public. Il ressort de tout cela une exceptionnelle cohérence. Bien sûr, l'instrumentation "classic rock" habituelle (guitare électrique, basse, claviers et percussions) est bien présente et avec grand talent. Mais on ressent vraiment la primauté de ce couple voix/piano, qui constitue l'âme de "The kick inside", album clé de Kate Bush.
Parmi les musiciens qui participèrent à l'aventure et qui continuèrent sur "Lionheart", le second album, figuraient Ian Bairnson (guitare électrique), Stuart Elliott (batterie et percussions), David Paton (basse), Duncan Mackay (piano électrique) et d'autres... Kate Bush officiait naturellement au piano ; son frère Paddy jouait de la mandoline et assurait certains choeurs.
Le premier titre "moving" permet l'accès à cet univers à la fois raffiné et inquiétant. Une batterie aérienne, des touches étincelantes de piano comme un clapotis d'eau et une basse lente au coeur palpitant y accompagnent la voix songeuse et irréelle de dame Bush. D'ailleurs, une sorte de grincement étrange ponctue le début et la fin du titre, comme une invitation à rentrer dans le théâtre onirique de la jeune anglaise romantique. "Comme je suis émue !", tels sont ses premiers mots... "The saxophone song", une démo session produite par David Gilmour en juin 75, lui succède. De charmantes ponctions de saxophone - style années 30 - se mêlent à de douces envolées de piano. La délicatesse instrumentale et le climat éthéré font songer à certains titres de Bowie -époque "Aladdin sane" - comme "the prettiest star" ou "lady grinning soûl". Surprise : ce titre, qui tourne autour du désir, symbolisé par le saxophone, s'achève par de fugitives nappes de claviers à la Klaus Schulze éteignant ainsi la bougie qui brûle et qui projette des ombres sur le saxophone (la scène de la rencontre entre la belle et le saxophoniste se déroule dans un bar de Berlin.).
Puis, le "strange phenomena" déboule : un très bel exercice de style où la voix lente et énigmatique de Kate se mêle à de serpentines parties de piano, sur fond pulsatif de basse, coeur vibrant toujours en éveil. Sur Je titre suivant, la voix, aux multiples registres, fuse un peu dans toutes les directions. En effet, "kite" est une joyeuse parade avec roulements dansants de batterie, claviers sautillants et choeurs flottants. Au sommet de sa forme, la chanteuse y entame son lancinant chorus : "Viens là-haut et sois un cerf-volant/Et survole une nuit de diamant/ooooh quel diamant !"
Cette référence aux astres se retrouvera fréquemment dans son oeuvre, notamment sur le splendide "constellation of the heart" (album "The red shoes") et naturellement sur "Aerial". Les deux morceaux suivants "the man with the child in his eyes" et "wuthering heights" - terminant la face A - sont sans doute les plus connus. Le premier se caractérise par un parfait classicisme. Un piano évanescent y accompagne la voix lente, voire languissante de la future Babooshka. Bref, un titre idéal pour l'adaptation d'un film romantique, avec son éternel refrain mélancolique : "Oooh, he's hère again/The man with the child in his eyes". Le second morceau encore plus orchestré, avec ses flamboyances de piano, est sans doute son titre le plus littéraire. La voix de "Cathy" (nom de l'héroïne mais aussi surnom de Kate Bush !) s'y profile comme le vent. Il est inspiré du roman d'Emily Brontë "Les Hauts de Hurlevent". Le titre s'achève par une flamboyante guitare électrique et un orchestre sépulcral, sorte de final tourbillonnant à la gloire des héros romantiques.
Peut-on dire à ce stade que "The kick inside" est un disque littéraire ? Certainement ! Les thèmes romantiques (passion malheureuse, refuge dans le rêve, glorification de la nature) sont bien présents ! (Ces histoires abracadabrantesques se déroulent dans les landes du Yorkshire, dans des manoirs pourris entourés de tourbières sur fond d'inceste et d'hypocrisie sociale.) Ces chansons ont sans doute été écrites pour frapper l'imagination. Ainsi "the kick inside" qui clôt la face B conte l'histoire du départ d'une jeune femme, rejetée par sa famille, après avoir été mise enceinte. Ce titre, qui est aussi celui de l'album, évoque ce fameux "coup de pied" du bébé au ventre de sa mère. Cette interrogation toute philosophique sur le bienfait de mettre au monde un enfant se retrouvera quelques années plus tard dans le fameux "breathing" (sur "Never for ever"). Néanmoins, limiter "The kick inside" au seul domaine littéraire serait injuste. Kate Bush, d'une certaine façon comme Bowie, est une chanteuse expressive". Sa musique et ses textes insufflent à l'imagination un fort visuel. Plusieurs titres de "The kick inside" firent même l'objet d'intéressants vidéo-clips sur le plan artistique. Ainsi, Kate Bush apparaîtra mi-ange sur "strange phenomena" et mi-démon sur "hammer horror", jouant habilement de son ambivalence ! En outre, "The kick inside" dégage une atmosphère toute cinématographique (les disques suivants ne feront que confirmer cette tendance).
La face B s'ouvre avec "James and the cold gun", morceau très remuant avec riffs drus et rythmique flamboyante plutôt funky (une excellente et longue reprise de ce titre tourbillonnant figure dans le Kate Bush Live). Le suave "feel it" lui succède, titre tout empreint de rêverie. La voix s'y fait des plus paresseuses ; il n'y a que du piano mais c'est intense. Quant au classique "oh to be in love", c'est un titre très orchestré. Les choeurs, très réussis, de Paddy Bush se marient harmonieusement à la voix féerique de sa soeur. D'étincelantes gammes de piano, une batterie lente et reptilienne et de magnifiques parties de guitare accompagnent le morceau suivant "l'amour looks something like you". (Une version longue - également très réussie - figure sur le Kate Bush Live.) Le texte, à l'atmosphère très XVIIIe siècle, très bushien, parle de désir, d'énergie positive... En voici le chorus : "Je suis vêtue de dentelles/je flotte sur un rêve noir/je meurs d'envie que tu me touches/pour sentir toute cette énergie m'envahir". L'excellent "them heavy people" - que l'on retrouve également sur le Kate Bush Live - est un titre à la rythmologie étonnante. Il est ponctué de gros sons de basse, de surprenants roulements percussifs et d'énergiques nappes de piano jazzy. Ces "gens importants" (Bouddha, Jésus...) réapparaîtront souvent dans les textes ultérieurs. En effet, la fascination de la chanteuse pour les thèmes mystiques et religieux est vivace.
"Roorn for the life" intrigue : la voix s'y promène noyée dans un roulement de percussions encore fort réussi, qui donne à l'ensemble une touche bossa-nova, "khe kick inside" clôt l'album. C'est un titre mélancolique, très orchestré, noyé dans les brumes et les tourbières...
Avec cet album, Kate Bush apporte une nouvelle esthétique à l'univers rock. Ce disque, empreint de mysticisme, est finalement par son extrême raffinement assez proche d'"Aerial". Après tout, seulement six ponts aériens les séparent !
Thierry de Fages
KOID9
Track-list de The Kick Inside
1. Moving (3:01)
2. The Saxophone Song (3:52)
3. Strange Phenomena (2:58)
4. Kite (2:57)
5. The Man With the Child in His Eyes (2:41)
6. Wuthering Heights (4:29)
7. James and the Cold Gun (3:36)
8. Feel It (3:02)
9. Oh to Be in Love (3:18)
10. L' Amour Looks Something Like You (2:28)
11. Them Heavy People (3:05)
12. Room for the Life (4:05)
13. The Kick Inside (3:34)
Line-up de The Kick Inside
- Kate Bush / Piano, Composer, Keyboards, Vocals, Vocals (bckgr)
Guests :
- Ian Bairnson / Guitar, Vocals, Vocals (bckgr), Bottle
- Paddy Bush / Harmonica, Mandolin, Vocals
- Barry DeSouza / Drums
- Stuart Elliot / Drums
- David Gilmour / Executive Producer
- David Katz / Violin, Orchestra Contractor
- Paul Keogh / Guitar, Guitar (Electric)
- Bruce Lynch / Bass
- Duncan Mackay / Organ, Synthesizer, Keyboards, Piano (Electric), Clavinet
- Alan Parker / Guitar
- David Paton / Bass, Vocals (bckgr)
- Morris Pert / Percussion
- Andrew Powell / Synthesizer, Keyboards, Piano (Electric), Producer
- Alan Skidmore / Saxophone
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