Dans la série Prog-Rock imputrescible, David Gilmour fait figure dinextinguible dinosaure culte labellisé AOC. Le guitariste de Pink Floyd conserve ainsi cette aura cultivée par une rareté moins calculée que véritablement naturelle. Il faut avouer que notre ami na jamais eu vocation à faire de la copie par paquet de douze, comme tant dautres. Bien lui en a pris. Ses apparitions se font (assez) rares et avec deux albums solos depuis plus de vingt ans (On an Island remonte à 2006), on serait même enclin à se demander sil ne souhaite pas damer le pion à Peter Gabriel, autre ponte légendaire de larlésienne.
Et donc, après la sortie de The Endless River lan passé, belle coda musicale réservée à sa formation dorigine, voici ce Rattle That Lock prévendu sur un morceau titre qui a la particularité de jouer avec lidentité musicale de la SNCF. La petite histoire nous dit que ce fameux et substantiel DO / SOL / LA-MI aurait frappé David Gilmour sur un quai dAix-en-Provence, au point quil lui trouva un groove fascinant et mieux, de quoi tirer un single super efficace avec soli marque-déposée en prime. Si beaucoup virent dans cette inspiration pirouette de quoi fouetter le vieux briscard (une fois de plus), il faut reconnaître que lalbum nous offre un visage bien plus complexe et varié.
Des compositions sur lesquelles David Gilmour se fait avant tout plaisir en façonnant un univers de possibilités. Cest la première bonne nouvelle. Sur « 5 A.M. », orchestré par Zbigniew Preisner (compositeur attitré de Krzysztof Kieślowski), « Beauty » et « Today », il samuse de son passé comme autant de (superbes) figures imposées. Avec « The Girl in Yellosw Dress », il caresse le jazz comme jamais. Lorsque « Faces of Stone » mélange subtilement valse et tango, « A Boat Lies Waiting » évoque lami perdu Richard Wright. Et puis, la guitare langoureuse de « And Then » termine de se lover sur un rythme à la cool, dans la tradition des grands solistes au feeling dexception. Sur des textes inspirés du Paradis Perdu de John Milton, écrits par sa compagne Polly Samson, lalbum déroule son ruban conceptuel : refléter les pensées parfois légères, parfois pesantes, dune personne dans une seule journée.
Logiquement, cest en décorant la chose que les potes se régalent : Graham Nash, Roger Eno, Phil Manzarena, David Crosby, Robert Wyatt, Andy Newmark et Jools Holland se joignent à la fête, sans hésiter. Une fête pas franchement débordante de joie mais dune classe folle. En témoigne cette production, ce son qui donne immédiatement envie dy retourner. Une forme de grandeur qui na jamais vraiment délaissée David Gilmour, sa Stratocaster et ce touché inimitable. Celui qui savère finalement le plus sage de la bande, musicalement tout au moins, poursuit donc sa quête de la mélodie ce que certains pisse-froid lui reprochent encore sur les derniers chaînons floydiens (A Momentary Lapse of Reason en 1987 et The Division Bell en 1994) jugés trop peu aventureux (et alors ?).
En sinscrivant dans la lignée dune uvre qui ne joue pas sur le réchauffement du tempo, le frétillement de sources, ni sur la sacralisation du tube obligatoire, Rattle That Lock consacre une certaine forme de modestie, un travail dartisan qui na rien de roublard. Dans cette règle du jeu impeccable, implacable, David Gilmour réussi son retour avec une candeur qui na rien de primitive, mais primordiale. Le grand rêve deffacement passé, celui de lomniprésent Pink Floyd, ce nouveau jalon dévoile ses mystères, sa profondeur de champ, au fil des écoutes, avec un goût obstiné des belles choses !
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