Comment bâtir un phénomène ? Petite leçon de chose et retour en 1971. Le jeunot Mike Oldfield est alors un bassiste dà peine 18 printemps (ou plutôt hiver vu le mental en friche du bonhomme), introverti à en crever, porté sur la Guiness (forcément) et phobique comme il faut (ou pas). Après deux albums avec Kevin Ayers (ex Soft Machine), son souhait de découvrir le grand nulle part, musique en tête, était trop fort. Deux années de composition sensuivirent avec son lot dobsessions grandes gueules, amples et torturées. Linspiration est classique. Elle cavale derrière Bach, Ravel, Sibelius mais dépasse le simple cadre du pompage factice. Mike Oldfield veut plus. Quelque chose de neuf, dunique, capable détayer ses turpitudes à géométrie variable.
Démos à lappui, il parvient à convaincre Richard Branson, jeune loup de la production musicale, un peu azimuté mais au flair commercial unique, et se voit invité au Manor, luxueux studio aménagé de frais par le futur milliardaire. Son physique dilluminé ascétique et son talent évident le font se rapprocher de lingénieur du son Thomas Newman. Ensemble, ils partent à la recherche dune certaine idée du Graal musical. Mike Oldfield sacharne alors sur la quasi-totalité des instruments qui lui passent entre les pognes. Improvisations. Écriture. Réécriture. Effacer. Recommencer. Jusquà lépuisement.
De ce délire incandescent va peu à peu surgir une composition de près dune heure, sans une once de potentiel commercial. Refus catégorique des labels sauf si le jeune compositeur consent à ajouter des textes et à faire intervenir un chanteur. Cest limpasse, jusquà ce que Richard Branson se décide à fonder un nouveau label, Virgin, et métamorphoser ce Tubular Bells invendable en tête de gondole. Cette géniale intuition de miser sur une uvre « étrange » et « névrotique » enclenche le mode historique. Les 16 millions dexemplaires vendus assureront lempire financier de lun et les obsessions durables de lautre. Mike Oldfield vient daccoucher dun disque simplement monstrueux.
Et donc ? Tubular Bells, ce sont des thèmes qui envoient galoper claviers, cuivres, churs anarchiques ou élégiaques, lignes brisées et flots mélodiques incandescents. Ultime dédicace : cette guitare qui deviendra rapidement la signature musicale de Mike Oldfield, à la fois tranchante, crunchy, distordue et aérienne. Plus que des mots, elle révèle un compositeur surdoué mais paniqué. Phénoménal.
La magie opère à plein. Ces cloches tubulaires rendues mondialement célèbres après la subtile exploitation de son gimmick introductif (Lexorciste de William Friedkin suivit du Grammy Award de la meilleure composition instrumentale reçu en 1975) simposent dès lors comme un album sophistiqué et novateur. Une production impressionnante (malgré linsatisfaction de son auteur), en clair-obscur au long de passages sans complexe, éthérés voire éthyliques ou à motifs répétitifs, obsessionnels. Les greffons audacieux et fertiles en rebondissement opérés entre rock et musique classique permettent surtout à Mike Oldfield de créer la première pièce dun édifice musical qui chatouillera les sens. Une sorte de Citizen Kane que la presse et le public assimileront faussement au monolithe incontournable dune uvre en devenir. Tubular Bells et son étrange pochette frappait fort. De ses imperfections, au cur même du sujet, fulminaient les névroses de son auteur. Le résultat nourrira longtemps les fantômes de son enfance.Pour le meilleur et pour le pire.
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